Prostitution : alors que le RN veut rouvrir les maisons closes, quelle réalité sur la Côte d’Opale et la Côte Picarde ?
La proposition a relancé un débat vieux de 80 ans. Le député RN de la Somme, Jean-Philippe Tanguy, souhaite rouvrir des maisons closes "sous un autre nom", gérées en coopérative par les personnes prostituées elles-mêmes. Objectif affiché : "sécuriser les professionnels et casser les réseaux". Une idée qui divise, mais qui interroge surtout sur la réalité de la prostitution chez nous, sur la Côte d’Opale et la Côte Picarde.
Pour comprendre ce qui se joue derrière les portes closes des appartements Airb'nb, des hôtels, et surtout des écrans, nous avons poussé la porte d’un lieu très discret, à Berck-sur-Mer : le FIAC, une association qui accompagne depuis près de deux ans les personnes prostituées sur le Boulonnais, le Montreuillois, l’Audomarois et le Calaisis.
Prostitution : un nouveau visage sur la Côte d’Opale
Dans les Hauts-de-France, l’immense majorité de la prostitution passe aujourd’hui par internet, via des plateformes anonymes où rendez-vous et tarifs s’échangent en quelques minutes.
Les passes ont lieu dans des chambres d’hôtel, des Airbnb ou des appartements loués pour quelques jours, parfois gérés par des réseaux très organisés. Paul Solignac, éducateur spécialisé au FIAC confirme : "On effectue des maraudes numériques. On va aller sur les sites d'escortes, on va aller sur les réseaux sociaux, etc. La majorité, ça va souvent être des personnes de passage qui sont présentes pour une durée limitée sur le territoire et qui peuvent aller dans d'autres villes aussi par la suite, avec le Airbnb, etc. C'est souvent des moyens qui sont utilisés par les personnes elles-mêmes ou par les réseaux pour loger, entre guillemets, les personnes en situation de prostitution. Sur notre territoire, il n'y a plus ou alors quasiment pas de prostitution dite de rue. Tout se fait dans des hôtels ou des appartements."
Selon les chiffres de l’Observatoire national des violences faites aux femmes, entre 35 000 et 40 000 personnes sont en situation de prostitution en France, dont une écrasante majorité de femmes.
À Berck, un dispositif unique : ANNA
Pour agir au plus près du terrain, le FIAC a ouvert en janvier 2024 à Berck une permanence baptisée ANNA, pensée comme un espace d’accueil totalement anonyme. Un lieu sans rendez-vous, ouvert plusieurs demi-journées par semaine pour des distributions de préservatifs, des tests de dépistage et des kits d’hygiène. Mais également une aide administrative et sociale ainsi qu'un accompagnement pour sortir des réseaux. Avec une écoute psychologique et l'orientation vers des démarches de régularisation, de santé, ou de protection.
Le débat national : maisons closes ou renforcement des protections ?
La dernière loi sur la prostitution date de 2016. Elle a supprimé le délit de racolage passif, interdit l’achat d’actes sexuels, sanctionné les clients par une amende de 1 500 € et renforcé les parcours de sortie.
Le RN souhaite aujourd’hui "sécuriser les professionnels" en rouvrant des lieux légaux, gérés par les prostituées elles-mêmes.
Ses opposants dénoncent un risque de nouvelle forme de proxénétisme et rappellent que la prostitution reste, pour beaucoup, un système de violence.
Sur le terrain, les associations sont formelles : la priorité doit rester l’accompagnement social, la santé, et la lutte contre les réseaux.
